jeudi 29 mars 2018

Les doutes se confirment sur la mort des moines de Tibhirine


Les doutes se confirment sur la mort des moines de Tibhirine

 La Croix

Le rapport d’autopsie de la dépouille des moines de Tibhirine, dévoilé jeudi 29 mars, ébranle un peu plus la version officielle algérienne de leur assassinat en 1996, en pleine décennie noire.
 nfin ! La ténacité des juges Marc Trévidic et Nathalie Poux a permis de venir à bout des réticences d’Alger. Le rapport d’autopsie des dépouilles des sept moines de Tibhirine – ce qui aurait dû être le début de l’enquête sur leur assassinat – a été versé au dossier, au bout de quatorze ans d’enquête judiciaire et vingt-deux ans après le drame. Or, les nombreux éléments troublants de ce rapport de 185 pages ébranlent un peu plus la version des autorités algériennes selon laquelle le Groupe islamique armé (GIA) aurait tué les moines deux mois après leur enlèvement au printemps 1996, en pleine guerre civile.
À lire aussi
Les prélèvements effectués sur les dépouilles, à l’automne 2014, et restitués à la justice française dix-huit mois plus tard ont heureusement été bien conservés. Et la science la plus pointue au service de la médecine légale a été sollicitée – anatomopathologie, stéréo-microscope, micro-scanner, génétique, botanique, géologie, palynologie (étude des pollens) – pour tenter d’éclairer les nombreuses zones d’ombre qui entourent les conditions de la mort des moines.

« Cela montre à quel point les Algériens ont agi avec légèreté et précipitation »

L’autopsie livre, en l’occurrence, de précieuses informations. Premièrement, les crânes sont bel et bien ceux des sept moines, mais les identités de six d’entre eux ont été involontairement interverties. Seul frère Luc repose dans le cercueil portant son nom. « Cela montre à quel point les Algériens ont agi avec légèreté et précipitation au moment de l’inhumation, estime l’avocat des familles Patrick Baudouin ; les cercueils avaient été scellés – les autorités avaient laissé entendre qu’ils comportaient les corps et non pas que les têtes – sans qu’il y ait eu ni autopsie, ni identification par les familles, ni ouverture d’instruction. »
Deuxièmement, comme le suggérait déjà le rapport de 2015 au vu des seules observations des experts, l’absence de particules métalliques sur les crânes écarte l’idée qu’ils aient été tués par balle avant d’être décapités. La thèse déjà vacillante – que défendait le général Buchwalter, alors attaché de défense à l’ambassade de France à Alger – d’une bavure de l’armée algérienne qui les aurait tués par des tirs d’hélicoptères en visant un camp islamiste est mise à mal. « Mais l’absence des corps, jamais retrouvés, conforte l’idée que l’on nous cache des choses », poursuit Patrick Baudouin.

Les experts jugent non plausible le fait que les moines soient morts le 21 mai

Troisièmement, les moines ne sont pas morts égorgés – selon un mode opératoire typique des islamistes – mais ont été décapités post-mortem. « L’absence de lésions identifiables de grignotage par des prédateurs », selon les termes du rapport, rend en outre peu crédible l’hypothèse selon laquelle les têtes seraient restées en plein air pendant les neuf jours séparant leur mort de la date de leur découverte. « Si elles n’étaient pas exposées aux prédateurs de toute sorte, elles ont probablement été inhumées une première fois avant d’être découvertes », commente Patrick Baudouin.
Enfin, les experts jugent non plausible le fait que les moines soient morts le 21 mai comme le prétend à l’époque le communiqué du GIA. S’il ne fait guère de doute que le GIA a enlevé les moines, l’authenticité de son communiqué deux mois plus tard est restée incertaine. L’état de décomposition des têtes au moment de leur découverte suggère de fait un laps de temps supérieur à neuf jours. Des investigations menées ces derniers mois par des entomologistes confirment les doutes, même s’ils manquent de données pour fournir une datation précise. Mais ils jugent « plausible » un décès entre les 25 et 27 avril, soit cinq semaines avant la découverte, comme le défend un ancien membre des services de renseignement algériens exilé en Écosse.
Si l’heure de la vérité sur l’assassinat des moines n’a pas encore sonné, ce rapport rend plus indispensable encore la poursuite des investigations.
Marie Verdier
https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/nouveaux-doutes-mort-moines-Tibhirine-2018-03-29-1200927812?utm_source=Newsletter&utm_medium=e-mail&utm_content=20180329&utm_campaign=newsletter__crx_alert&utm_term=971824&PMID=bb494601670887f92d5d4c8bfcd0ef06

mardi 6 mars 2018

Demande officielle de reconnaissance du martyre du philosophe Kamal Youssef el-Hage

« Toutes les injustices sont des formes de martyre », souligne Raï 
Fady NOUN | OLJ
06/03/2018


Fidèle aux orientations de la lettre apostolique Tertio Millenio Adveniente, donnée par saint Jean-Paul II le 10 novembre 1994, exhortant les Églises locales à faire « tout leur possible pour ne pas laisser perdre la mémoire de ceux qui ont subi le martyre », l’Église maronite a clôturé par une messe solennelle célébrée par le patriarche Raï à Bkerké un jubilé extraordinaire dédié au souvenir de ses martyrs « connus et inconnus ». Le jubilé s’est étendu de la Saint-Maron (9 février 2017) à la fête du premier patriarche, saint Jean-Maron (2 mars 2018).
Présidant la messe du jubilé, le patriarche a affirmé que l’Église maronite « a fait souvenir de tous ceux qui sont tombés en martyrs sur le sol de la patrie depuis le début de la guerre en 1975 (…) ainsi que de celui de tous les innocents qui tombent dans les pays du Machrek ». 
Revenant dimanche dans son homélie dominicale sur le sens profond du martyre, le patriarche a courageusement dénoncé quelques graves injustices qui marquent la vie nationale, dont il a fait des équivalents de « martyrs » des conditions économiques, judiciaires, politiques ou morales qui prévalent.
C’est ainsi qu’il a cité, pour les dénoncer, « l’assassinat et la torture physique, les atteintes à la dignité et la répression des libertés, le lynchage médiatique, les expulsions et l’exode, les arrestations sans jugement, la politisation de la justice ou son déni par la prolongation des procès, la violation du secret de l’instruction pour des raisons politiques ou médiatiques, la révocation arbitraire des fonctionnaires pour des raisons politiques, les accusations infondées, sans possibilité de se défendre, les nominations ou révocations de fonctionnaires clientélistes entachées de confessionnalisme ou d’allégeance politique, les situations de pauvreté qui privent les personnes de leurs droits au logement, à la nourriture, à la scolarisation ou aux soins de santé ».


Reconnaissance officielle
Par ailleurs, à l’occasion de l’année jubilaire, les héritiers du philosophe libanais, auteur et professeur d’université Kamal Youssef el-Hage, et la fondation qui porte son nom ont soumis aux autorités ecclésiastiques maronites une demande de reconnaissance de son martyre, le 2 avril 1976, dans son village de Chébanieh (Haut-Metn).
La demande est endossée par le supérieur général de l’ordre libanais maronite, le P. Malek Bou Tanios, ainsi que par le P. Maroun Chamoun, curé du village de Chébanieh. Elle a été transmise à l’évêque de Kornet Chehwan, Camille Zeidane, dont cette localité relève.
 « Nous avons pensé qu’il était de notre devoir que Kamal Youssef el-Hage (1921-1976) ne soit pas seulement reconnu à sa juste valeur en tant que philosophe, mais encore et surtout en tant que vrai martyr de la foi dans le Christ », affirme la lettre adressée à l’évêque. 
Contemporain de philosophes comme Charles Malek et René Habachi, Kamal el-Hage, qui a fait ses études chez les jésuites et à l’AUB, a enseigné à l’USEK et l’Université libanaise, où il a fondé une section de philosophie libanaise. Son fils, le Pr Youssef el-Hage, lui-même professeur d’université, a veillé à la publication de ses œuvres complètes, et une chaire Kamal el-Hage a été créée à l’USEK, pour en assurer la pérennité.



Parfaite charité
« Si le concile Vatican II précise que le martyre » est considéré par l’Église comme la preuve suprême de la charité « (Lumen Gentium 42), alors Kamal el-Hage a fait preuve d’une parfaite charité, poursuit la demande, souligne la lettre précitée. Il aurait pu facilement quitter son village et sa région, plongés en pleine détresse; mais il a décidé de continuer à servir, et donc à aimer, bien qu’il fût pleinement conscient qu’il y avait à craindre pour sa sécurité. Mais il voulait être, jusqu’à la fin de sa vie, un témoin d’amour. Juste avant d’être enlevé puis abattu sur-le-champ (NDLR : par des miliciens palestiniens se battant aux côtés des milices druzes, croit-on savoir), il revenait d’une réunion qu’il avait présidée en vue de réconcilier les deux factions druzes, oui druzes, de son village. Il y a encore des témoins vivants pour confirmer ce fait. Pour être déclaré martyr, il faut que la mort n’ait pas été recherchée. C’est encore le cas ici. Bien qu’averti des périls qui pouvaient s’abattre sur lui, Kamal el-Hage avait confiance en la providence divine et en la protection de la Sainte Vierge. Nous sommes intimement convaincus que Kamal el-Hage pourrait à terme être béatifié et même canonisé. Nous sommes aussi conscients que cela exige une procédure officielle, ainsi que beaucoup de temps et de recherches. Tout ce que nous pouvons dire, en toute confiance et humilité, c’est que nous croyons que la vie et les écrits philosophiques de Kamal Youssef el-Hage répondent au critère du martyre. » 
La demande transmise à l’évêque rappelle que le patriarche Nasrallah Sfeir, dans son eulogie patriarcale du 21 mars 2006, avait été le premier à saluer « la mémoire du martyr Kamal Youssef el-Hage ». Elle se prévaut aussi de la proclamation patriarcale réclamant que soit « dressée une liste des fils et filles de notre Église qui ont versé leur sang pour leur foi dans le Christ… et dont le martyre remonte à différentes périodes de l’histoire, comme la dernière guerre libanaise » (ouverture du jubilé extraordinaire).


https://www.lorientlejour.com/article/1103256/demande-officielle-de-reconnaissance-du-martyre-du-philosophe-kamal-youssef-el-hage.html